Dans la série 24 de 2001, une scène montre un gang de rebelles. Pour bien appuyer le fait qu’il est rebelle, les membres sont tatoués, ils ont des piercings, et des chansons de rock énervé passent à fond sur leur autoradio. Nous pouvons reconnaître notamment “New Noise” de Refused, véritable hymne punk avec le chant crié de Dennis Lyxzén. Considérant certainement le morceau comme trop agressif, le mixage atténue les aigües et réduit les basses pour ne pas trop paraître comme dansant et sympa. Symbole d’une génération perdue qui envoie tout valdinguer, le morceau trouve parfaitement sa place dans une scène pourtant un peu cliché. Elle reflète la scène alternative de l’époque avec ses envies de balayer les anciens modèles pour les remplacer par des choses nouvelles.
Vingt-deux ans plus tard, la dernière saison de THE BEAR montre le chef cuisinier décider de transformer l’ancien boui-boui de son défunt frère en un restaurant haut-de-gamme. Alors qu’il se prépare à lancer un défi à son équipe de bras cassés retentit “New Noise” de Refused. Cette fois, le son est celui qu’on connaît au disque. avec les aigües pour donner le côté catchy, et le groove de basse bien comme il faut. Le morceau apparaît alors comme la chanson scandée par la horde de punks de délire complètement bourré.e.s qu’on était à l’époque. En tout cas, la scène reprend littéralement la thématique de la chanson : donner une allure nouvelle à quelque chose d’ancien.
Deux séries télé, deux époques, une chanson… Mais, clairement pas les mêmes ambitions. Dans le premier cas, il n’y a aucune sympathie pour le morceau : ce sont des punks qui l’écoutent et cela montre à quel point un groupe de personnes se place en marge de la société. Le gang paraît alors comme les méchants de l’histoire. Dans le second cas, le morceau est assimilé et apprécié, une chanson culte pour élever une scène. Cela fonctionne à balle ! Mais, quelque part, le show retire toute l’essence au morceau pour en faire une chanson pop un peu énervée qui amuse les quarantenaires. J’ai apprécié ce moment, c’est vrai mais, au fond, j’avais l’impression qu’on s'approprie un truc qui a marqué ma différence pour en faire un hymne commercial, comme si le capitalisme [on parle de deux séries produites par la Fox] avait décidé de transformer les trucs cools et renégats d’antan en spots commerciaux, comme si elle était en train de s’approprier la contre-culture pour paraître cool, marquant sa disparition.
Ce phénomène, nous pouvons le constater avec Miley Cyrus qui reprend du NINE INCH NAILS de la première époque dans la série BLACK MIRROR américanisée et produite par Netflix, ou en entendant VIOLENT FEMMES dans les spots publicitaires d’une enseigne de bricolage, ou en voyant des documentaires sur “Anti-Social” commenté par des “stars” du petit écran comme si c’était un morceau de Claude François. La contre-culture de mon adolescence est maintenant à vendre et vidée de son sens. Quelle est la prochaine étape ? KIDS UNITED qui reprend “TV Party” de BLACK FLAG ? Ou, comme l’anticipe Groland, les partisans du Rassemblement National qui reprennent “Porcherie” des Bérus ?
Pas certain que la contre-culture actuelle aura un meilleur avenir, mais nous pouvons encore compter sur les fans de K-Pop afin de résister face à l’oppression des idées capitalistes.
Place au bruit du mois de février, celui que le capitalisme ignore ! Bonne lecture !
Les albums du mois
PORCELAIN “Porcelain”
Portrayal of Guilt - 2024
Le premier LP de PORCELAIN n’est vraiment pas du genre à être facilement brisé, je dirais même que la musique du groupe est plutôt l’éléphant que les porcelaines du magasin. Le post-hardcore du groupe d’Austin est ultra solide, en même temps le CV de ses membres en dit long. On y liste des groupes aussi différents que EXHALANTS, SUPER THIEF, US WEEKLY ou VOTIVE. En tout cas, ensemble ce la donne du post-hardcore fortement teinté d’emo - avec quelques passages noise rock - ultra bien calibré et plein de vie. Parce que, oui, Porcelain a une âme, il a quelque chose d’unique dans sa manière d’être. Ne serait-ce que l’agencement des morceaux qui montre progressivement toute la palette musicale du groupe. J’ai terminé les 38 minutes d’écoute avec une seule envie, celle d’y regoûter !
COWER “Celestial Devastation“
Human Worth - 2024
Boys sorti en 2020 n’était qu’un coup d’essai ! Gareth Thomas (USA NAILS, SILENT FRONT), Wayne Adams (PETBRICK, BIG LAD), et Thomas Lacey (YARDS, THE GHOST OF A THOUSAND) portent leur projet gothique à un autre niveau. Beaucoup plus atmosphérique et délicat, Celestial Devastation met quasiment de côté le côté noise rock - et son efficacité rentre dedans - au profit de mélodies plus marquées et de nappes de synthé sophistiquées. Même si parfois, COWER frappe fort, mais ce n’est pas le cœur de l’album. Le groupe assume plus son côté new wave donnant à ses compositions des airs de Music for the Masses et de Songs of Faith and Devotion de DEPECHE MODE, voire de Pretty Hate Machine de NINE INCH NAILS ou de The Mind is a Terrible Thing to Taste de MINISTRY. En tout cas, tout comme ces disques, Celestial Devastation est sombre, dépressif, et nihiliste. En même temps, le groupe s’intéresse à l’avenir d’une société dictée par les IA, autant dire que ce n’est pas une perspective joyeuse.
WHISPERING SONS “The Great Calm”
PIAS - 2024
Que ça fait du bien de retrouver le quintet belge WHISPERING SONS avec sa chanteuse à la voix si unique et si prenante ! D’ailleurs, Fenne Kuppens ose pousser son registre vocal encore plus loin, ne serait-ce que sur le titre d’ouverture, elle brise le côté monocorde pour susurrer une légère phrase qui arrive à faire monter la tension d’un cran. Musicalement, les morceaux sont merveilleux avec ses lignes de basse digne de krautrock, une rythmique très discrète mais prenante, un son de guitare clair qui apporte une touche lumineuse, et des nappes de synthé qui ne monopolisent pas l’intention. Tous ces ingrédients sont rudement bien dosés afin de mettre en valeur les compositions. Sans nul doute, WHISPERING SONS vient de signer l’un des albums qui marquera mon année 2024.
Les tracks du mois
PANIKATAX, quel drôle de nom ! Assez intriguant pour que j’ai envie d’aller jeter un coup d’oreille sur le bandcamp du label de Forbidden Place Records. Eh bien, quelle baffe ! "“Hand in Hand” est un morceau psyché des plus monstrueux avec un son aussi lourd que jouissif !
L’autre morceau est plus court, plus rentre-dedans, mais tout aussi bon !
Le noise rock de MOON PUSSY est aussi psychédélique comme le démontre ce nouveau titre annonciateur d’un nouveau disque quatre ans après l’excellent Moon Pussy Self Title.
PARK+ RIOT a sorti un single au mois de janvier que j’ai découvert que récemment. Le duo de Leipzig offre un morceau ultra efficace et riche pour un style aussi rentre dedans !
Et puisqu’on parle de truc bourrin, voici un petite dose de screamo avec d’abord le hit de FRAIL BODY, "“Refrain”.
Le screamo de HEAVENLY BLUE INTL. me ramène dans la première moitié des années 2000 avec ce côté emo’n roll ultra efficace. Le refrain sur lequel la voix s’égosillant et celle plus mélodique se superposent est ultra chouette !
FOXTAILS est la preuve que le screamo est un genre qui peut apporter de nouvelles choses. Si le début de “dereliction” est plutôt classique, le morceau évolue d’une bien belle manière avec un côté post-rock mais tout en gardant le côté viscéral du screamo !
Et on finit avec le très délicat COUCH SLUT qui revient avec un titre heavy qui rend fou ! La chanteuse a toujours une voix hallucinante !
Dans le rétro
NOTHING “Guilty of Everything”
Relapse Records - 2014
Ne prêtez pas attention à l'étiquette collée sur le disque1, NOTHING ne partage avec MY BLOODY VALENTINE que le genre musical. Le groupe américain est moins sombre et moins bruitiste que celui de Kevin Shields. En fait, lors de la première écoute, ça m'a fait penser à une version shoegaze de BIFFY CLYRO - à l'époque où ils faisaient de la musique de qualité. En somme, NOTHING a des airs d'un groupe qui se donne du mal à faire de la bonne musique pour draguer, du shoegaze de lovers.
Justement, je crois que c'est l'amour qui anime les morceaux de l'album. D'abord, l'amour pour la musique transpire tout le long de Guilty of Everything. Il y a un véritable côté charnel avec ses nappes de guitares venant te murmurer des notes dans l'oreille tandis que cette basse ronflante vient te caresser au plus profond de toi. Ensuite, il y a l'amour, le vrai, le sentiment, celui qui te rend tout con et qui frappe dans tes entrailles. Celui qui te fait couler des larmes de joie pour un oui ou pour non. C'est avec cette énergie que NOTHING a composé son album. Cela en fait un très beau disque.
En plus, les morceaux ont chacun une ambiance et/ou une approche différente, mais avec ce même talent de composition et d'émotion vive compressée sur un disque. L'album est cohérent s'écoutant d'une traite avec un réel plaisir.
Autre chose qui fait plaisir - et merci à Relapse Records pour l'avoir fait -, le CD est accompagné d'un livret d'une vingtaine de pages, ce qui est de plus en plus rare. Dans celui-ci, on retrouve pour chaque titre les paroles et, en illustration, de jolies photos avec le logo du groupe en filigrane par-dessus. C'est le petit plus qui justifie l'achat d'un disque plutôt que d'une version numérique.
Depuis que j'ai écrit les quelques lignes ci-dessus - soit peu de temps après la sortie du disque, NOTHING a sorti d'autres albums apportant une expérience assez similaire. Malgré la qualité de chacun, aucun n'a vraiment réussi à me toucher ou à me séduire comme celui-ci. En tout cas, sept ans après, j'écoute toujours avec plaisir Guilty of Everything.
À écouter sur : Bandcamp
Mais, qui se soucie des étiquettes ?